Un scientifique avant tout
Arthur ClarkeArthur Charles Clarke est né le 16 décembre 1917 à Minehead, en Angleterre. Etudiant, il intègre la Royal Air Force où il travaille sur les radars, en même temps qu'il prépare son diplôme. C'est à cette époque qu'il commence à écrire des nouvelles de science-fiction, mais reste peu connu.
Sur le plan scientifique, Clarke jouait dans la cour des grands : la résistance de l'Angleterre pendant la seconde guerre mondiale est en partie due à son système de surveillance radar, élaboré par Clarke. Il a été membre de plusieurs organisations, dont la British Interplanetary Society (dont il a même été président) ou l'Underwater Explorers Club. Il a également été un des plus prestigieux membres du mouvement sceptique contemporain, mouvement de pensée qui prône la vérification des faits scientifiques par l'expérimentation, surtout dans le but de combattre les théories du complot, les médecines non conventionnelles, et les dérives et arnaques pseudo-scientifiques en tout genre (amis de Fox Mulder s'abstenir)... Cependant, le plus grand apport scientifique de Clarke reste l'orbite géostationnaire : cette orbite particulière est celle où les corps tournent aussi vite que la Terre. Ainsi un satellite placé sur cette orbite survolera toujours le même point terrestre, ce qui est extrêmement intéressant pour les satellites de communication. Beaucoup de scientifiques considèrent que c'est Clarke qui s'est le premier intéressé à cette orbite, dans un article de 1945. Dans ce registre de l'anticipation, Clarke est aussi l'un des vulgarisateurs de l'ascenseur spatial, un outil qui nous permettrait de sortir du champ d'attraction terrestre sans utiliser de lanceur ou de navette, ce qui serait donc très économique pour des allers-retours spatiaux fréquents. Bien qu'il ne ressemblera probablement pas à l'ascenseur de verre de Roald Dahl, cet engin sort depuis quelques années du domaine de la science-fiction : l'apparition des nanotechnologies, qui permettent de construire des matériaux plus solides que jamais, pourrait le concrétiser. En tout cas, les agences spatiales l'étudient sérieusement.
Clarke est également connu dans le milieu scientifique pour ses lois qu'il a formulées en 1962 : « quand un savant distingué mais vieillissant estime que quelque chose est possible, il a presque certainement raison, mais lorsqu'il déclare que quelque chose est impossible, il a très probablement tort » ; « la seule façon de découvrir les limites du possible, c'est de s'aventurer un peu au-delà, dans l'impossible ». En 1973, dans une correction de son essai, Clarke a rajouté la troisième loi (« toute technologie suffisamment avancée est indiscernable de la magie ») en concluant « Comme les trois lois étaient suffisantes pour Newton, j'ai modestement décidé de m'arrêter là ». La formulation la plus célèbre des lois de Clarke est celle de Gregory Benford (un autre écrivain et physicien), qui découle de la troisième : « N'importe quelle technologie discernable de la magie est insuffisamment avancée ». Une preuve en est justement l'ascenseur spatial qui, s'il appartenait au domaine de la science-fiction à la fin du XXème siècle, devient imaginable.

Les odyssées spatiales
Clarke a été largement honoré de ces nombreux apports : il a donné son nom à un astéroïde ((4923) Clarke), un dinosaure (Serendipaceratops arthurcclarkei), une orbite (l'orbite géostationnaire est aussi appelée orbite de Clarke), un prix littéraire récompensant des oeuvres de science-fiction et a été anobli. Cependant, Clarke est surtout connu du grand public pour ses écrits littéraires parmi lesquels je citerai La Sentinelle (nouvelle publiée en 1951), L'îles des dauphins, mais - et surtout - Rama et les odyssées de l'espace.
2001, l'odyssée de l'espaceSous les pavés, la plage... nous sommes en 1968 et de l'autre côté de l'Atlantique un homme commence à accéder à la notoriété. C'est Stanley Kubrick, réalisateur de talent. Quatre ans se sont écoulés depuis son dernier film, Docteur Folamour, une comédie cynique et acerbe sur la course à l'armement. Or en ces temps de guerre froide, le seul équivalent de cette course nucléaire est celle de l'espace et Kubrick s'y intéresse justement... Il contacte Clarke car il a décidé d'adapter La Sentinelle. Clarke se réjouit de l'idée, et décide même d'en profiter : il fera lui aussi une adaptation de sa propre nouvelle, pour en faire un roman entier.
Ainsi sortent en 1968 deux oeuvres majeures : 2001, l'odyssée de l'espace : une en librairie et l'autre en salle. Il s'agit probablement d'un exemple unique dans l'histoire du cinéma et de la littérature : le film n'est pas une adaptation du livre, mais le livre ne dérive pas non plus du film ! Non, comme l'expliqua Clarke dans de nombreuses préfaces aux odyssées, les deux se sont développés conjointement. Clarke influençait l'évolution du scénario de Kubrick, tout en intégrant dans son livre les derniers rushes du film... Il résulta de cette originale collaboration deux oeuvres légèrement différentes, Clarke donnant une vision plus optimiste que Kubrick.
L'odyssée de l'espace se déroule, comme l'indique le tire, en 2001... mais ce 2001 comme on le voyait en 68, beaucoup plus futuriste que la réalité. La Lune est déjà colonisée, et on y a découvert un étrange objet : le « monolithe », une sorte de pavé noir parfaitement lisse et aux proportions exactes (1/4/9). L'objet semble de plus émettre des ondes en direction d'un lointain astre, Tycho. La découverte de cet objet va conduire à monter une expédition en direction de Tycho...
Le livre comme le film abordent de nombreux thèmes classiques de science-fiction : une forme déviée de la panspermie (la panspermie est la théorie selon laquelle la vie terrestre est un dérivé extraterrestre ; dans l'odyssée de l'espace, les extraterrestres ont « seulement » forcé l'évolution de la vie déjà existante), les longs voyages dans l'espace, la possibilité d'une rencontre extraterrestre (qui n'aura d'ailleurs pas lieu !), l'intelligence artificielle, etc...
Fort de son succès, Clarke écrira une suite en 1982 (2010, Odyssée deux). La première expédition a échoué, pour une raison inconnue sur Terre même si l'ordinateur de bord est suspecté d'avoir défailli. Une seconde expédition, incluant le créateur de l'ordinateur, est donc montée pour rejoindre le premier vaisseau et mener l'enquête. Comme souvent, cette histoire spatiale est pour Clarke un prétexte pour traiter de sujets terrestres. En 2010, la guerre froide n'est pas terminée. Au contraire, les tensions entre Etats-Unis et Russie sont plus grandes que jamais. La nouvelle expédition se place dans ce cadre : elle est d'origine russe et si les Etats-Unis y rajoutent leurs astronautes, c'est uniquement pour éviter que les Russes ne prennent le contrôle du premier vaisseau et de sa technologie. Cependant, Clarke transmet comme toujours un message de paix : si leurs dirigeants respectifs s'opposent, les astronautes et les cosmonautes développent des liens d'amitié (voire d'amour), et ils devront finalement faire face au même danger. L'odyssée deux a également fait l'objet d'un film, qui cette fois est réellement inspiré du livre. Il s'agit de 2010, l'année du premier contact, réalisé en 1984 par Peter Hyams.
En 1988, Clarke sort le troisième volume : 2061, Odyssée trois. A la fin de la seconde odyssée, l'expédition avait découvert de nombreux monolithes semblables à celui de 2001, puis ces monolithes s'étaient regroupés autour de la surface de Jupiter et avaient explosé, transformant la planète en un deuxième Soleil appelé Lucifer. Ayant ainsi montré leur puissance (mais quelles intentions ont-ils ?), les extraterrestres nous avaient alors appelés à faire la paix entre nous. Leur message pacifique est toutefois atténué par une mystérieuse interdiction : celle de venir sur Europe, l'ancien satellite de Jupiter devenu depuis une planète aqueuse. Mais en 2061, un vaisseau en détresse se voit contraint de se poser sur Europe. Il y découvre des formes de vie.
Le dernier volume des odyssées fut écrit bien plus tard (1997), et se passe également bien plus tard : Clarke fait un bond de plusieurs siècles pour 3001, Odyssée finale. On y retrouve un des astronautes de 2001, qui s'était retrouvé projeté dans l'espace. Plutôt que de le tuer, cela l'a cryogénisé. Son corps est retrouvé, et il est réveillé. Il découvre ce qu'est devenue la Terre : sous la chaleur du nouveau Soleil, Lucifer, la Terre est devenue un grand désert inhabitable. Pour survivre, les terriens ont construit quatre gigantesques tour, tellement hautes qu'elles dépassent l'atmosphère : Afrique, Amérique, Asie et Pacifique. Après avoir découvert ce nouveau mode de vie, l'homme décide de partir à la recherche du dernier lien avec son passé : le seul autre survivant éventuel de la mission 2001. On découvre enfin le but des extraterrestres et la raison d'être des monolithes...

Rama : l'Homme révélé
Même si 3001, Odyssée finale est plus pessimiste que les trois précédents livres, il conserve son message de paix universelle, qui semble ainsi avoir été le plus grand désir de Clarke. Comme je le disais plus haut, on compte aussi dans ses oeuvres la tétralogie Rama, qui se déroule également sur une longue période. Il s'agit ici aussi d'une rencontre du troisième type, mais plus directe : les habitants du système solaire (les terriens ont colonisé presque tout le système) voient débarquer un vaisseau géant, baptisé Rama. Dans le premier livre, les humains décident d'explorer le vaisseau et découvrent peu à peu qu'il est habité par un intelligence supérieure. Dans le volume suivant, un second vaisseau débarque, mais cette fois les humains reçoivent un message : ils sont invités à envoyer des volontaires dans le vaisseau... Les deux volumes suivants narrent les péripéties des hommes embarqués dans ce second vaisseau. Les thèmes de cette tétralogie sont avant tout les rapports et comportements humains : Clarke y décrit des affrontements idéologiques (les colons des différentes planètes finissent par former de nouveaux peuples opposés), les différentes réactions et peurs face à l'inconnu (certaines planètes voulant détruire le vaisseau extraterrestre, d'autres non), la difficulté de fonder une communauté équilibrée (l'intérieur du vaisseau), des réflexions sur la démocratie, le pouvoir, le profit, l'exclusion, ...

Ainsi Clarke était un homme de sciences, inventeur de l'orbite géostationnaire, qui s'est servi de ses connaissances pour écrire de la science-fiction crédible. Auteur d'un des plus grands ouvrages de science-fiction, qui est aussi le pendant du plus célèbre film de Kubrick, il désirait plus que tout l'entente entre les Hommes, et luttait pour une utilisation positive, raisonnée et éthique des sciences... C'est pourquoi la nouvelle de sa mort le 19 mars 2008 fut si terrible, venue du Sri Lanka où il habitait depuis des années. Il était un scientifique de cette catégorie qui devrait être la plus répandue : ouvert, pacifique et au service de l'Homme.

A Sir Clarke, pour ces heures de délicieuses lectures