Clonage. Le mot fait peur. Parce qu'il autorise l'une des pires manipulations que les apprentis sorciers de la génétique puissent imaginer : la fabrication d'êtres humains à la chaîne. En réalité, cette technique est l'aboutissement de près d'un siècle de recherches visant à améliorer les animaux et les plantes. Les premières applications industrielles éveillent déjà l'appétit des investisseurs, qui en attendent des bénéfices colossaux. Mais elles suscitent aussi la crainte que le XXIème siècle ne soit envahi de troupeaux transformés en pharmacies sur pattes, dans un monde où les femmes pourront enfanter leurs propres clones... Arguments pour et contre...

L'histoire du clonage
1791 : Le médecin anglais John Hunter pratique la première grossesse par insémination artificielle.
1878 : Première fécondation artificielle animale en laboratoire.
1938 : Un scientifique nazi propose de remplacer le noyau d'un ovule par celui d'un autre ovule.
1944 : Premiers essais de fécondation in vitro humaine.
1951 : Premier transfert d'embryon d'une vache à une autre.
1952 : Naissance d'un veau à partir de sperme congelé. Tentative de clonage de grenouille.
1953 : Première insémination artificielle humaine à partir de sperme congelé.
1963 : Première fécondation in vitro réussie chez le hamster.
1973 : A l'université de Cambridge, un chercheur remplace le noyau d'un ovule de grenouille par celui d'une autre. L'expérience rate.
1976 : Premier décodage d'une séquence de gêne humain
1977 : Première production de protéines humaines par des bactéries.
1978 : Naissance au Royaume-Uni de Louise Brown, le premier bébé-éprouvette.
1981 : Maîtrise totale de la fécondation in vitro.
1983 : Premier tabac transgénique. Une femme accouche d'un bébé dont l'embryon a été obtenu à partir du sperme de son mari et d'un ovule d'une autre femme.
1984 : Naissance en Australie de Zoe, le premier bébé issu d'un embryon congelé.
1986 : Clonage de moutons à partir de cellules embryonnaires.
1990 : Au Royaume-Uni a lieu le premier diagnostic préimplantatoire (c'est-à-dire une étude de l'embryon avant de l'implanter dans un corps afin d'éviter la naissance d'un enfant atteint d'une maladie génétique). Cela permet la naissance d'une petite fille saine dans une famille susceptible de transmettre la mucoviscidose, une maladie héréditaire provoquant l'obstruction des canaux du pancréas et des bronches. En Italie, une femme ménopausée accouche.
1993 : Première tentative de clonage d'embryon humain aux Etats-Unis.
1994 : Aux Etats-Unis le professeur First fait naître quatre veaux clonés à partir d'un embryon congelé.
1996 : Naissance aux Etats-Unis des premiers singes clonés à partir de cellules embryonnaires
1997 : Naissance de Dolly le 23 février
2000 : Des chercheurs écossais ont mis au monde dans le Missouri des mini cochons clones transgéniques : on savait depuis longtemps que comme le singe, le cochon a un ancêtre commun avec l'Homme mais les xénogreffes ne fonctionnaient pas car les cochons ont développé un gène que nous n'avons pas et ils produisaient ainsi des protéines provoquant le rejet des tissus greffés. Ces chercheurs ont réussi à éliminer ce gène, ce qui rend la xénogreffe possible.
2003 : Suite à une maladie pulmonaire, Dolly est euthanasiée le 14 février. Elle meurt donc à sept ans, au lieu de quatorze. Dolly se trouve maintenant empaillée au National Museum of Scotland.
2005 : En mai, une équipe sud-coréenne dirigée par Woo Suk Hwang annonce avoir cloné 11 amas de cellules humaines. En août, elle réussit le clonage d'un chien. Quelques mois plus tard, les résultats sont mis en doute. Hwang finit par avouer qu'il les a falsifiés : il n'a pas réussi le clonage des cellules humaines. Le clonage du chien s'avère en revanche véridique.

Arguments pour le clonage
Le clonage est la clé de nombreux problèmes actuels. Après la naissance qui fit scandale de Dolly, les chercheurs se sont interrogés sur les ouvertures que cela pouvait apporter à la nature. Betsy Dresser, spécialiste en physiologie animale à la Nouvelle-Orléans est à l'origine de la naissance de Jazz, une chatte sauvage d'Afrique portée par une chatte domestique. C'est cette première expérience fructueuse qui lui donna l'espoir car au-delà de la prouesse technique, cette heureux évènement ouvre de nouvelles perspectives à toutes les espèces en voie d'extinction. De nombreux projets sont en cours de réalisation et les chercheurs de l'Aicres ont annoncé pouvoir sauver 40 espèces menacées comme les bongos, quelques espèces de panthères, ...
Le clonage présente d'autres intérêts : en effet, il peut servir à l'amélioration des animaux par sélection (vaches grandes productrices de lait par exemple) mais aussi à la renaissance d'espèces disparues à partir d'échantillons d'ADN (c'est le pari des chercheurs de l'Australian Muséum avec le tigre de Tasmanie).
Associé au transgénisme, le clonage peut également s'avérer précieux dans l'expérimentation de nouveaux traitements non pas sur l'Homme mais sur des animaux ayant reçu des gênes humains, notamment dans la recherche sur le cancer ou les vaccins. Pourquoi n'emploierions nous pas le clonage à des fins thérapeutiques ? Il serait une chance pour beaucoup de malades. Pourtant, seule la Grande-Bretagne n'est pas hostile au principe des techniques de clonage quand la recherche porte sur le traitement des graves maladies héréditaires. Joe Tsien comprend mal les récentes angoisses qu'allait faire naître la perspective du clonage humain car selon lui, un clone en tant que copie confirme n'apporte rien d'original au monde. Le professeur Jacob estime que la technique favorisera une meilleure compréhension des stérilités et du cancer car une cellule cancéreuse est une cellule indifférenciée. C'est pour cela que les scientifiques se lancent dans le clonage de cellules. Cela laisse une éventualité pour les couples stériles qui pourraient avoir des enfants. D'après Lee Silven, le clonage humain n'est pas dangereux si les couples y ont recours pour avoir des enfants qu'ils vont chérir et si ces enfants sont en bonne santé.
Pour le moment, on parle beaucoup de cellules animales que l'on implanterait chez l'homme (xénogreffes) mais le clonage de cellules humaines, bien que déjà réalisé, reste un tabou car il subsiste une réelle barrière éthique.

Arguments contre le clonage
La première opposition au clonage est religieuse : dans les grands cultes monothéistes, seul Dieu peut donner la vie. Celui qui prendrait ce pouvoir provoquerait la colère divine. Avec le clonage, l'homme se prendrait pour Dieu. C'est la faute de l'orgueil dans la Grèce antique, c'est le mythe de Frankenstein.
De plus, il est impossible de dire si un clone est par rapport à son original son fils, son frère ou même autre chose. C'est donc la fin des lois paternelles et des interdits sur l'inceste. Pour certains, l'avenir de notre société est même menacé. Dans la même idée, un clone n'est ni son original ni quelqu'un d'autre, il apporte la confusion. L'idée même d'altérité, c'est-à-dire que tout être vivant est différent, est abolie.
Ensuite, les filles sont considérées comme inférieures aux garçons dans beaucoup de cultures. Le fait de pouvoir déterminer à l'avance le sexe d'un enfant a donc entraîné de massifs avortements. Ainsi, l'échographie a eu des conséquences graves mais imprévisibles. Le clonage pourrait bien faire de même ... De la même manière, le parent d'un clone aurait tendance à « conditionner » son enfant pour qu'il devienne ce qu'il n'a pas pu être afin de revivre à travers son enfant. Un enfant peut-il grandir normalement quand il sait qu'il n'est pas le fruit d'une reproduction naturelle mais celui d'une technique de laboratoire ?
En plus, deux espèces pourraient émerger dans un futur éloigné : les jeunes issus de familles aisées sont toujours avantagés : ils sont mieux éduqués, mieux suivis médicalement, ... L'énorme fossé entre riches et pauvres tient essentiellement à ce que les parents peuvent faire ou non pour leurs enfants. Ainsi, les plus riches pourraient doter leurs enfants de liaisons spermatozoïde-ovule modifiées pour les empêcher de procréer avec d'autres. On créerait ainsi deux espèces humaines incapables de se croiser.
Pour répondre à ceux qui avancent que le clonage ferait renaître des personnalités ou des génies, cela est en réalité impossible : un clone a les mêmes caractéristiques biologiques que son original mais un caractère et des connaissances ne peuvent pas être copiées : ils ne sont pas innés mais sont le fruit des rencontres, de l'éducation, de l'expérience, ...
Enfin, le risque est trop important : pour obtenir Dolly, il a fallu 277 essais dont 276 échecs. Peut-on sacrifier 300 foetus pour obtenir un clone humain ?

Clonage et économie
Le clonage des ovins n'a pas pour but la prolifération des moutons, déjà assez nombreux, mais il vise à montrer que les sociétés biotechnologiques sont capables de maîtriser les techniques complexes de fabrication de produits pharmaceutiques d'origine animale. Ce clonage, en lui-même, est d'un intérêt économique nul. Cependant, ce qui attire les industriels, c'est l'assurance de gros bénéfices futurs.
La bourse et les biotechnologies étaient faites pour se rencontrer : la première est le lieu où des investisseurs prennent des paris sur l'avenir, la seconde engendre des inventions qui mettent une bonne dizaine d'années avant de passer au stade de la commercialisation. Plutôt que de compter sur d'hypothétiques budgets publics, laborieusement reconduits d'année en année, les chercheurs ont vite compris que la bourse pouvait les financer à fonds perdus pendant longtemps... à condition que leurs recherches soient orientées vers des débouchés très concrets.
Les investisseurs, persuadés que les PME (petites et moyennes entreprises) spécialisées dans les biotechnologies sont l'eldorado du XXIe siècle, misent des fortunes dessus. La « bio-spéculation » est à son comble.
L'argent de la bourse permet surtout de gagner du temps. Une course de vitesse est engagée pour que chaque société impose sa technologie. le financement de la recherche génétique à usage pharmaceutique se déroule souvent en trois étapes :
- Des chercheurs créent une PME
- Ils se font coter en bourse pour financer leurs travaux.
- Ils se « marient » à un géant de la chimie qui devra payer au prix fort la commercialisation de leur nouveau médicament.
Ce financement soulève des critiques : « On privilégie la recherche appliquée au détriment de la recherche fondamentale. On va vers un entonnoir du savoir ! » dénonce un chercheur de l'INRA.

Et l'ONU ?
L'ONU devait se prononcer récemment sur le clonage. Il était prévu qu'une convention soit écrite et votée le 29 novembre 2004. Mais depuis 2001, une soixantaine de pays (les Etats-Unis en tête) bloquent : ils veulent interdire en plus du clonage reproductif le clonage thérapeutique. Au dernier moment, le vote a été annulé, remplacé par un compromis : au lieu d'une convention, l'ONU a édité en février 2005 une déclaration. La différence ? Elle n'a pas de valeur légale, elle est là uniquement pour conseil. Avantage : chaque pays reste libre de légiférer selon sa manière. Inconvénient : l'absence d'une législation internationale favorise largement les recherches illégales, comme celles de Raël.

Conclusion personnelle
Personnellement, vous l'aurez peut-être compris, je suis absolument contre le clonage reproductif, car il s'agit d'une entreprise certes inventée par l'homme mais qui peut facilement le dépasser.
A la fin de l'année 2002, la très dangereuse secte de Raël, aidée par la scientifique Brigitte Boisselier, a annoncé la naissance d'Eve, le premier bébé humain cloné. Les évènements suivants ont montré que cette information était fausse, et que les raëliens voulaient simplement faire parler d'eux.
Cependant, il n'est pas pessimiste mais réaliste de penser qu'ils réaliseront bientôt des essais réels, s'ils ne l'ont pas déjà fait en cachette. Et le jour où ils annonceront la naissance d'un clone qui le sera réellement, alors il faudra se rappeler cela : les chances qu'un bébé cloné soit viable sont très faibles. Il faut donc des centaines d'échecs avant la réussite. Si la secte exhibe un jour un clone, combien de foetus aura-t-elle « tué » ?
Dessin humoritique