La LuneVoici cinq articles parus dans la presse quotidienne francophone lors de la mission Apollo 11.


La Dernière Heure, 17 juillet 1969, édition du matin, Une.
Pas pour rien

Arrachés de la Terre par l'énorme poussée d'une fusée et projetés dans l'espace à une vitesse supersonique, des hommes vont, dans quatre jours, marcher sur la Lune.
A présent qu'elle a commencé, il nous est encore bien difficile de réaliser toute la portée de cette odyssée, la plus fantastique de l'histoire de l'humanité.
A défaut d'une prise de conscience qui ne viendra que progressivement à mesure que se dérouleront les phases marquantes de la mission Apollo 11, ce que nous ressentons ce sont des premières impressions qui peuvent se résumer dans ces mots : exaltation, anxiété et perplexité.

Exaltation d'abord, devant cette prodigieuse réussite de la science humaine, devant cette fiction qui devient soudainement réalité, devant cet avant-goût d'une grande aventure, devant ce premier pas dans l'infini qui entraîne l'humanité vers une destinée cosmique à laquelle il semble bien qu'elle ne peut échapper. En somme, un début d'ivresse vertigineuse dans cette fuite en avant où l'Homme se cherche peut-être en cherchant d'autres manifestations de la vie. Car, on sent bien que ce voyage sur la Lune et ceux qui le suivront, vers d'autres planètes, constituent pour l'Homme une tentative de donner à l'univers une signification qui le satisfasse enfin, alors même que le mystère propre de son existence continue à le tourmenter. Impuissant à en déchiffrer le voile, dans le petit monde où il vit, il espère y arriver en se servant du système solaire comme d'un tremplin pour franchir les années-lumière qui le conduiront au bout de son angoisse.

Anxiété ensuite, car personne ne peut oublier que trois vies humaines sont risquées dans cette aventure. Et, déjà, devant notre petit écran, au départ de la fusée Saturn V, nous avons ressenti ce pincement au coeur, ce petit noeud dans la gorge, qui n'étaient que la préfiguration des autres moments d'intense émotion que nous allons vivre au fil des heures et des jours, avec, toujours, cette question obsédante : « Vont-ils revenir ? ».

Perplexité, enfin, devant l'intérêt que peut bien présenter une expédition Terre-Lune. Il ne fait pas de doute que nombreux sont ceux qui se demandent s'il était bien nécessaire de dépenser des sommes fabuleuses pour ramener des échantillons de sol lunaire, alors que des problèmes plus urgents et bien « terre-à-terre », tels que la faim dans le monde, la guérison du cancer et des accidents cardio-vasculaires, mériteraient de retenir toute l'attention des hommes de sciences et tous les efforts financiers des grandes puissances.
Bien sûr, cette question se pose ; et il faut bien reconnaître que le milliard de dollars dépensé par les Etats-Unis peut paraître exorbitant. Mais, est-ce bien inutile pour autant ? Nous ne le pensons pas. Outre ces fameuses « retombées scientifiques » du voyage dont on nous affirme qu'elles seront importantes pour le progrès de nos sciences et de nos techniques, il est indubitable que, d'un point de vue plus pratique et immédiat, l'astronautique, dans son ensemble, a donné une impulsion si forte à l'électronique, que, déjà, les « retombées économiques » en sont perceptibles.
Dès lors, on ne peut pas dire que, depuis douze ans, à Cap Kennedy, on a « gaspillé » de l'argent pour rien, dans les tuyères des fusées spatiales.

Un seul regret cependant : c'est que le fantastique voyage d'aujourd'hui ne soit pas l'oeuvre de l'humanité tout entière et qu'il n'ait été possible qu'à la faveur d'une rivalité entre deux puissances : les Etats-Unis et l'Union Soviétique.
On ne pourra, en effet, tirer tout le profit attendu de l'exploration spatiale que grâce à une coopération internationale.


Même journal, page 3
Brève spatiale

On estime à 528 millions le nombre de téléspectateurs qui ont regardé, dans le monde entier, la retransmission du lancement d'Apollo 11. Une personne sur quatre assiste à l'une des phases du vol lunaire par le canal de télévision, estime-t-on. La compagnie américaine « A.B.C » a couvert pour le monde entier la retransmission. Le programme qui a duré une heure, a été envoyé à 33 pays du monde occidental et de nombreux pays communistes.


Le Figaro, 21 juillet 1969, édition de 5 heures, Une
NIXON : « Les dernières 22 secondes, les plus longues que j'aie vécues... »

C'est sur un petit récepteur portatif de télévision, enfermé seul dans son cabinet de travail de l'immeuble administratif (Executive Building), attenant à la Maison-Blanche, que le président Nixon a suivi, dimanche après-midi, la phase finale de l'alunissage de l'Aigle.
Immédiatement après la confirmation officielle du succès de l'opération, le chef de l'Etat s'est mis en communication par téléphone avec le directeur de la NASA, M. Thomas Paine, et l'a chargé de transmettre ses félicitations aux vainqueurs de la Lune. Il comptait d'ailleurs les renouveler personnellement quelques heures plus tard, lorsqu'il serait mis directement en contact avec Armstrong et Aldrin, peu après la minute historique du premier pas humain sur la Lune. « Nous vivons l'un des plus grands moments de notre temps », a dit le président à M. Paine... « Je suis fier de tous ceux qui ont participé à ce qu'ils [(les astronautes)] viennent de faire... Les vingt-deux dernières secondes avant l'alunissage ont été les plus longues que j'aie jamais vécues. Elles m'ont paru durer une bonne demie-heure... »
M. Nixon a ensuite téléphoné à son secrétaire d'Etat, M. William Rogers, et lui a dit : « Le succès de cette mission va produire des réactions favorables immédiates dans le monde entier et, j'en suis certain, va contribuer au rapprochement entre tous les peuples de notre planète ».
Puis le président s'est rendu dans le bureau ovale de la Maison-Blanche pour attendre, face aux caméras de télévision, le moment de sa conversation en direct avec Armstrong et Aldrin, cette minute qui le fera passer dans l'histoire comme le premier Terrien à avoir téléphoné... à un « Lunaute ».


Même journal, page 5
Ce ne pouvait être que lundi...

La Lune, dont les révolutions régulières avaient permis aux anciens astrologues de fixer le premier calendrier, ne pouvait être conquise qu'un lundi, le jour qui lui est consacré dans toutes les langues occidentales.
Le lundi est en effet le jour de la Lune, le « Lunae Dies » des Romains, qui a également donné lunei et lunedi. De même, le nom de la déesse germanique de la Lune a donné monday en anglais et montag en allemand. Les inventeurs du premier calendrier hebdomadaire donnèrent à chacun de nos jours un nom honorant leurs dieux principaux. En tête venait le Soleil, puis la Lune.


Le Monde, 22 juillet 1969, Une
Jour de l'espèce

N'en déplaise à Miguel Angel Asturias, l'exploit d'Apollo 11 me semble éclipser celui de Christophe Colomb, précisément parce que la découverte de l'Amérique fut l'oeuvre d'une volonté, d'une foi individuelle, réalisée au milieu d'incertitudes et de périls probablement plus graves que ceux qu'ont affrontés les cosmonautes.
C'est la preuve d'une mutation dans l'espèce humaine qu'elle ait maintenant les moyens de jouer d'autres enjeux que des vies d'hommes, et que ces exploits soient ceux d'un effort collectif organisé. Sans doute y aura-t-il encore des champions solitaires, mais ce qui est né sur la Lune c'est un autre type de héros dont l'audace est servie, portée, guidée, protégée par le long effort de toute une civilisation, de toute une époque. Notre émotion, c'est qu'il n'est pas un seul de nos contemporains qui ne soit directement ou indirectement impliqué.
Les pays hispaniques ont fait du 12 octobre, jour où Christophe Colomb fit son premier pas sur le Nouveau Monde, un Jour de la race qu'ils observent tous par delà leurs dissensions. Pourquoi ne pas faire du 20 juillet un jour de l'espèce, où, pour une fois, tous les peuples du monde célèbreraient le destin commun dont ils viennent d'avoir le plus éclatant symbole ?